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2 mai 2009

Calanques de Marseille. Le blues des cabanoniers

      

      Enquête   

       
Calanques de Marseille. Le blues des cabanoniers
       

Ici, dans ces calanques calcaires, blocs de rochers blancs plongeant dans la mer, clapotis des vagues et ambiance de bout du monde à seulement vingt minutes de la Canebière, on partage le même patrimoine, le même état d'esprit. Une façon d'être, décontractée et égalitaire. Un rapport à la nature où l'on perpétue, sans trop se poser de questions, les pratiques héritées des aïeuls. " On a toujours vécu en osmose avec ce qui nous entoure ", glisse André " Dédé " Pacitto, la quarantaine débonnaire, né à Sormiou de parents nés à Sormiou et président, depuis peu, de l'association des Calanquais… de Sormiou. " Quand on vient au cabanon, on pêche un peu, on ramasse des plantes, certains chassent aussi parfois… Aujourd'hui que le parc national est annoncé, on nous parle de développement durable. Je dirais qu'on en a toujours fait, mais sans le savoir. "

ENTRE 1,3 ET 2 MILLIONS DE VISITEURS ANNUELS

Durable. Le mot a une drôle de résonance dans la bouche des cabanoniers. Depuis une vingtaine d'années, ils vivent une évolution qui ne leur plaît guère. Oublié de tous pendant des décennies, leur bout de littoral accidenté, adossé à un massif forestier escarpé, est devenu une destination touristique prisée. Tout en jouant le rôle de poumon vert pour de nombreux Marseillais. Officiellement, aucun chiffre n'est disponible. Mais tout le monde s'accorde sur une fréquentation fluctuant désormais entre 1,3 et 2 millions de visiteurs annuels. L'époque a changé et le lancement du parc national des Calanques, prévu à l'horizon 2011, inquiète des cabanoniers qui s'interrogent sur ses objectifs réels : protéger la nature ou exploiter le trésor touristique ?

" De l'escalade, de la randonnée, de la plongée, du VTT… Les gens viennent tout faire ici. On a un monde fou ", lance, fataliste, Denise Mouren. Pomponnée, pétillante dans son petit haut fuchsia, la présidente du comité d'intérêt de quartier (CIQ) de Callelongue ne fait pas ses 77 printemps. Elle vit à l'année dans son cabanon de 52 mètres carrés mais " remonte en ville tous les après-midi " pour jouer aux cartes ou au loto avec ses amies. Pour elle, comme pour ses voisins, le cauchemar commence fin mars. Au moindre soleil, la calanque, cul-de-sac au bout de la route, est prise d'assaut. Et Denise peste contre ces voitures qui se garent tout contre sa véranda en bois ajouré : " Un jour, en blaguant bien sûr, j'ai demandé à des gens : “Pourquoi vous restez pas chez vous ?” La dame m'a dit gentiment : “Mais vous habitez un endroit tellement beau qu'on vient voir”…" Denise s'attendrit : " Que voulez-vous répondre ? On ne peut pas interdire aux gens d'en profiter aussi !"

"La médiatisation  nous a fait mal, reprend André Pacitto. “Thalassa”, “Des racines et des ailes”, tous ces beaux reportages, d'un côté, nous en sommes fiers. Mais de l'autre, ça attire toujours plus de gens." "Avec la route et la couverture téléphonique des opérateurs mobiles, il n'y a plus de rupture, s'emporte Georges Noble, un des anciens de Morgiou. Les gens se sentent toujours dans la civilisation et, forcément, conservent leur comportement urbain. Un parc, avec une signalétique qui marque la différence, pourrait sur ce plan-là avoir un effet positif." "Cette affluence a changé notre façon de profiter du cabanon, regrette-t-il encore… Nous étions habitués à y aller à pied, à y être tout seuls. Maintenant, on s'y rend seulement le week-end, on n'y passe plus l'été."

La vision, nourrie de nostalgie, n'est pas partagée par tous, dans toutes les calanques. Cueilli en plein gueuleton du samedi midi, juste avant la partie de cartes chez une voisine, Alain Minaro n'a même pas à en rajouter : " L'esprit de Sormiou est toujours là : on s'invite de terrasse en terrasse, on boit l'apéro, on sort les tables pour manger ensemble… La calanque, ça reste comme une grande famille "

Pour atténuer les pics de fréquentation, des barrières ont été installées par la Ville de Marseille. De juin à septembre, entre 7 heures du matin et 19 heures – heures de service des agents payés par la municipalité – elles bloquent l'accès aux véhicules. " Cela fonctionne assez bien, note Pierre Yzombard, responsable de l'Union des associations de Morgiou. Mais les gens se débrouillent pour venir avant ou après. Et puis il y a tous les laissez-passer. Plus d'un millier, sourit-il… Ça, c'est Marseille ! "

Côté immobilier, l'engouement pour les calanques n'a pas forcément fait flamber le prix des cabanons. Ici, le tarif des loyers doit beaucoup à l'historique des occupants. Ainsi, des " anciens " continuent à louer à moindre prix un ensemble classique : pièce, soupente, terrasse. " Au pire, on peut atteindre 700-800 euros mensuels pour 80 mètres carrés face à la mer, note Georges Noble. Comparé aux tarifs en ville, cela reste raisonnable. " Acheter dans cette zone ? L'idée fait sourire les habitués. Qu'ils appartiennent à des sociétés civiles immobilières, au conseil général, à l'Office national des forêts (ONF) ou à des propriétaires privés, les cabanons ne quittent presque jamais la " famille " des cabanoniers. A Morgiou, le dernier serait parti à 120 000 euros, acheté par un voisin. Le suivant a été préempté par le Conservatoire du littoral.

A la mi-avril, les cabanoniers ont changé d'ère sans le sentir vraiment. La " prise en considération " du parc national des Calanques était sur le bureau du premier ministre François Fillon. Un feu vert officiel, après l'avis favorable du comité interministériel du 13 février, qui lance la dernière phase de concertation d'un projet qui s'élabore depuis plus de dix ans. Et confirme le Groupement d'intérêt public (GIP) des Calanques, structure créée en décembre 1999 et présidée par le député marseillais et maire de secteur Guy Teissier (UMP), comme l'outil de préfiguration du parc. Dans les plans délimitant le périmètre, les calanques de Marseille – Callelongue, Marseilleveyre, Sormiou, Morgiou… – sont intégrées au " cœur de parc ". Soit une zone de 11 200 hectares terrestres et 48 000 hectares marins où, selon la loi de 2006 sur les parcs nationaux nouvelle génération, s'appliqueront les règles les plus drastiques de conservation du biotope.

"LES ARBRES TOMBENT À L'EAU !"

" Ce territoire devait être protégé de toute urgence, analyse Alain Vincent, fonctionnaire à l'ONF. A Sugiton, nous sommes en train de perdre la calanque : les arbres tombent à l'eau ! A Sormiou, des zones sont interdites aux promeneurs pour qu'ils ne mettent plus en mouvement des éboulis… " En poste dans le secteur depuis vingt ans, Alain Vincent est une mémoire du massif : " L'Etat a, depuis longtemps, la volonté de coordonner les choses. Mais c'était compliqué. Les propriétaires étaient nombreux, ne se connaissaient pas. Chacun faisait à sa manière, avec ses moyens… La mise en place du GIP a permis de réunir les acteurs, d'harmoniser les politiques et surtout de faire participer la société civile. " Parmi les résultats positifs, le bivouac a été interdit sur toutes les parcelles des calanques. Les randonneurs et les grimpeurs ont signé des conventions, via leurs fédérations nationales, avec l'ONF ou le conseil général des Bouches-du-Rhône pour équiper et entretenir sentiers et voies d'escalade.

Et les cabanoniers dans tout ça ? Classés par le GIP parmi les usagers, au même titre que plongeurs et plaisanciers, ils ont assisté à la longue concertation en ordre dispersé, représentés par leurs CIQ ou divers collectifs. Leurs avis ont divergé suivant leur calanque d'origine, leur proximité avec certains élus. Des associations, comme celle des propriétaires de Morgiou, ont été intégrées au conseil d'administration du GIP. D'autres ont observé. Grand et distingué, François Semeriva, porte-voix de Sormiou et ancien fonctionnaire du ministère de la jeunesse et des sports, est un connaisseur très pointu du dossier : " Pas un opposant du parc, mais quelqu'un qui veut participer à sa bonne coordination. " Pour lui, les cabanoniers ont été piégés dès 2006. " Lors de l'étude de la loi, nous avons insisté auprès de nos députés pour que le statut de résident non permanent soit pris en considération dans les nouveaux parcs nationaux. Cela n'a pas été fait. Aujourd'hui, nous n'avons pas plus de droits que les touristes. " Il prône une solution : la reconnaissance d'un statut spécifique pour les habitants, permanents ou non, des cabanons. Ou, plus radical encore, un transfert des " noyaux villageois " du " cœur de parc " vers la " zone d'adhésion ", aire aux règles beaucoup plus souples.

" Si on reste dans le cœur, qu'est-ce qu'on va nous interdire ? ", s'interroge, voix forte et bras solides, Jean-Claude Bianco. Pêcheur retraité, cette figure de Sormiou est devenue célèbre pour avoir remonté la dernière gourmette d'Antoine de Saint-Exupéry dans ses filets. Il a lu, comme beaucoup, la lettre du conseil national de protection de la nature qui préconise " la mise en place de zones de non-prélèvements terrestres et marins dans le parc national ". Un avis consultatif daté du 11 décembre 2008 qui, en quelques lignes, a crispé l'ambiance. " Si on empêche les gens d'ici de prendre trois girelles à la palangrotte [système de pêche traditionnelle à Marseille, où plusieurs hameçons sont accrochés à la même ligne] ou de ramasser les asperges sauvages, ça ira pas ! " " Le statut des cabanoniers est particulier de fait, rétorque Guy Teissier, le président du GIP, comme il le fait dans chaque réunion publique où on l'apostrophe sur le sujet. Ils vivent selon l'usage et continueront à le faire. " Une assurance que le directeur du GIP, Jean-Marie Lafond, tempère : " Selon la loi, seuls les résidents permanents peuvent bénéficier de dérogations. Et la grande majorité des cabanoniers ne le sont pas… Mais, en fait, quelles dérogations souhaitent-ils vraiment ? Il n'y a rien de clair. On peine à dresser une liste avec eux. On ne peut décréter : “Interdit de cueillir sauf les asperges de Sormiou ramassées par les résidents de Sormiou” ! Le parc deviendrait une usine à gaz… Il va falloir passer toutes ces pratiques à l'aune des possibles et sûrement définir des zonages. On sait que l'interdiction de la cueillette ou de la pêche sous-marine partout provoquerait non seulement une levée de boucliers, mais aussi un phénomène de report très mauvais sur les zones limitrophes. Et tout ce qui peut avoir un impact écologique, même en dehors du parc, doit être contrôlé. "

Comme tous les autres usagers des calanques, les cabanoniers se voient rarement en responsables de la dégradation de l'environnement. Tout juste concèdent-ils, comme Georges Noble à Morgiou, " avoir fini par polluer la nappe phréatique, à cause d'installations sanitaires obsolètes ". Depuis 1975 et le classement du site terrestre (1976 pour la zone des 500 mètres marins), ils n'ont plus le droit de construire, ni de modifier leurs habitats. Ce qui n'empêche pas la rumeur de les voir toujours en pirates du plan d'occupation des sols. Certains savent déjà qu'à terme leurs cabanons seront rasés…

Dans le futur parc, les cabanoniers refusent qu'on leur impose des règles que d'autres ne suivraient pas. Ils incriminent en vrac les pêcheurs professionnels qui " raclent les fonds marins y compris dans les zones interdites ", les baigneurs qui, comme à Sugiton, ravinent le littoral, ou les sociétés de loisirs qui " marchandisent les calanques " en faisant débarquer des dizaines de clients pour des " journées aventure " vendues à des entreprises. Et surtout ils pointent l'ombre de l'émissaire de Cortiou, le goulot final des égouts de Marseille, dénoncé depuis des années par Albert Falco, ancien pilote de la Calypso et second du commandant Cousteau, autre grande célébrité de Sormiou. Une incongruité qui se jette à l'à-pic d'une falaise, juste avant la calanque. Améliorée en 2007, la station d'épuration de Marseille reste désignée comme le problème numéro un des calanques. Le conseil national de protection de la nature a d'ailleurs demandé " la résorption de ses rejets ". " La communauté urbaine de Marseille étudie le prolongement du tuyau de Cortiou dans les fosses plus lointaines et plus profondes de la rade, assure Jean-Marie Lafond, le directeur du GIP. Une solution que nous préconisons mais qui coûterait entre 50 et 100 millions d'euros. "

BATEAUX " PROMÈNE-COUILLONS "

Le dernier paradoxe du parc national des Calanques est celui qui perturbe le plus les cabanoniers. Créée pour protéger la nature dans une zone périurbaine, la labellisation va être un aimant puissant pour le public et les professionnels du tourisme. Déjà, on ne peut plus manquer les cars d'excursion à Callelongue, les hélicoptères qui, décollant du Castellet dans le Var, survolent toute la journée Sormiou, ou les bateaux " promène-couillons " venus de Cassis ou du Vieux-Port, qui entrent dans chaque calanque pour un " demi-tour vision panoramique ".

" Parc ou pas parc, la fréquentation des calanques augmente, assène Jean-Marie Lafond. Il y a l'effet TGV, les croisières, les lignes aériennes low-cost qui arrivent à Marignane… Si on laisse faire, on va à la catastrophe. C'est pourquoi nous souhaitons le plus grand site possible, englobant des massifs comme celui du Grand Cauné, à l'est de Cassis… Pour mieux réguler la fréquentation, envoyer les visiteurs vers l'arrière-pays. Mais il faudra aussi imaginer des activités en bordure de parc, et des systèmes de transports en commun. Un parc périurbain ne peut se concevoir sans un système raisonné de circulation. " " Avec l'incendie, la surfréquentation est le deuxième fléau qui nous menace ", reconnaît Guy Teissier. Il faudra réguler et ne plus permettre certains usages de loisirs. " Comment ? Au GIP, on réfléchit à une entrée payante. " 2 euros par personne, ce n'est rien pour les visiteurs, mais au final, ça rapporterait plus de 2 millions d'euros par an… "

DÉVELOPPER LE TOURISME DURABLE

L'idée ne séduit pas vraiment les professionnels du tourisme et ne satisfera sûrement pas les Marseillais. " Les calanques, c'est un joyau, un produit d'appel extraordinaire, insiste Maxime Tissot, directeur de l'office du tourisme de Marseille. Elles doivent rester ouvertes ! Mais personne ne veut tuer la poule aux œufs d'or. C'est toute l'ambiguïté de ce dossier : faire visiter tout en protégeant. " Pour lui, la gestion raisonnée du trésor passera par " l'éducation des visiteurs et des opérateurs " et une surveillance renforcée permises par les nouveaux moyens du parc, estimés à 10 millions d'euros annuels.

" Notre but, c'est vraiment de développer le tourisme durable, en travaillant avec l'ONF, les guides de haute montagne… Ce parc va évidemment attirer plus de monde, mais je préfère gérer la surfréquentation que le désert. " Un optimisme que ne partage pas René Olmeta, vice-président PS du conseil général, élu au GIP, et cabanonier à ses heures : " Si nous créons un parc national pour le laisser ouvert à tous, nous nous exposons à le transformer en parc d'épouvante. Juguler les flux, c'est vraiment le défi que nous devons relever." Un avis que Jean-Marie Lafond traduit à sa façon : " Si, dans dix ans, la fréquentation des calanques a doublé, le parc sera un échec. " Et la vie tranquille au cabanon, un beau souvenir du passé marseillais.


Gilles Rof

Retrouvez moi : http://monmulhouse.canalblog.com/

         

            

Le parc national des Calanques

                      

         

         Jusqu'en octobre 2009 Consultation des " grands groupes d'usagers du parc " pour élaborer le projet de charte et de décret. Le projet sera adressé aux " grands acteurs concernés " pour avis consultatif.
Début 2010 Enquête publique puis consultation des communes concernées par l'aire d'adhésion.
Fin 2010 Signature de la charte et passage devant le Conseil d'Etat.
1er janvier 2011 Création du parc national des Calanques, avec le recrutement de 60 agents, fonctionnaires de l'Etat ou des collectivités territoriales. Une date obligatoire car le groupement d'intérêt public des Calanques, qui gère le dossier, n'existera plus au 31 décembre 2010.

      




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